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samedi, 11 mars 2006

Gabriel Cousin

LE CORPS ET L'ESPRIT

 

Ses doigts tronçonnés par la scie

montrent le bonheur

 

Vieux front scalpé à la perceuse

il pense à la justice

 

Jambe coupée aux roues de wagons

il marche au rang de la Paix

 

L'œil brûlé par un copeau chauffé au rouge

regarde l'avenir

 

Son bras arraché par l'hélice d'avion

lutte pour la liberté

 

Sa gorge lacérée aux cuves des acides

chante l'amour des choses

 

Ses poumons décomposés à la gueule du four

respirent la joie du monde

 

Le visage défiguré par un coup de grisou

il est beau comme un premier Mai

 

Gabriel Cousin

vendredi, 10 mars 2006

Poème de Saint Ephrem

 

 

 

 

Celui qui lit ce poème d'Ephrem croira lire un écrivain de notre temps. Ces observations et critiques pertinentes notées il y a plus de mille six cents années, témoignent d'un véritable génie. Voici ce poème traduit de l'araméen, langue de l'auteur ; elle fut la langue du Christ, de sa mère et de ses apôtres. Elle est parlée jusqu'à nos jours dans certaines régions de la Syrie, de l'Iraq et de la Turquie. Elle est la langue des prières orthodoxes.

Poème de Saint Ephrem

Sur le jugement des hommes

 

Si quelqu'un s'adonne à des livres et des lectures, ils diront de lui un homme livresque et de littérature !

S'il cherche la science avec assiduité, ils diront de lui un fureteur de secrets.

S'il est actif et dynamique, il sera attaqué par la jalousie et la malice.

Si c'est lui qui porte la responsabilité, il sera la cible de leurs flèches.

S'il est simple et humble, ils le jugerons ignorant et naïf.

S'il est ardent dans quelque désir, ils diront de lui un homme obstiné et dangereux.

S'il se montre indulgent et patient, ils diront qu'il est imbécile et stupide.

S'il aime fréquenter quelqu'un, ils l'appelleront libertin et dévergondé.

S'il ne fréquente personne, c'est un misanthrope et qu'il a la société en dégoût

S'il est frugal et qu'il jeûne, il est fourbe et hypocrite.

S'il soigne sa table et manifeste son plaisir, c'est un gourmand et un viveur.

S'il s'abstient de manger, c'est un difficile et orgueilleux.

Bienheureux est celui qui s'éloigne du monde et de ses malices.

Bienheureux est celui qui considère ses défauts et ses fautes, et s'assied pour pleurer sa vie.

   

vendredi, 03 mars 2006

Guillaume Apollinaire

Reconnais-toi
Cette adorable personne c'est toi
Sous le grand chapeau canotier
Oeil
Nez
La bouche
Voici l'ovale de ta figure
Ton cou exquis
Voici enfin l'imparfaite image de ton buste adoré
vu comme à travers un nuage
Un peu plus bas c'est ton coeur qui bat

Guillaume Apollinaire,
calligramme, extrait du poème du 9 février 1915, (poèmes à Lou).

mercredi, 15 février 2006

Espoir

Espoir

je cherche une ville si petite
que l'ennui ne pourrait y habiter

je cherche une maison si minuscule
que la tristesse ne pourrait s'y cacher

je cherche un logis si étroit
que l'angoisse ne pourrait y pénétrer

je cherche une chambre si basse
que la solitude ne pourrait s'y coucher

je cherche un regard si bleu
que ma peine pourrait s'y noyer

je cherche un sourire si doux
que je pourrais m'y loger

et je vais de ville en ville
et je frappe de porte en porte

partout d'où je viens
partout où je vais
on me dit d'aller plus loin
que là-bas je trouverai bien

Yves Brillon



lundi, 09 janvier 2006

JOIE -William Blake

Joie

Joie, o vie ailée,
Brisée d’être captive;
Éternité promise
Au baiser qui s’accorde à ton vol.

He who binds to himself a joy
Does the winged life destroy;
But he who kisses the joy as it flies,
Lives in eternity's sunrise.

dimanche, 01 janvier 2006

Bonne année 2006

Bonne année

 

Bonne année à toutes les choses :
Au monde ! A la mer ! Aux forêts !
Bonne année à toutes les roses
Que l'hiver prépare en secret.

Bonne année à tous ceux qui m'aiment
Et qui m'entendent ici-bas ...
Et bonne année aussi , quand même ,
A tous ceux qui ne m'aiment pas.

 

Rosemonde Gérard

 
 

mardi, 29 novembre 2005

Louis Lefebvre

Prière du soir

 

Mon père, me voilà ; ma journée est finie.

Si j'ai fait quelques biens, je vous en remercie ;

Et si j'ai fait le mal,  que votre charité

Pardonne encore à ma constante indignité !

 

Dans ce calme nocturne où je crois vous entendre,

Je songe à l'autre nuit que je verrai descendre

Lorsque le dernier jour à mes yeux aura luit.

Car la mort tombera comme tombe la nuit,

 

Comme elle irrésistible et profonde comme elle.

Que de toutes mes nuits elle soit la plus belle.

Ce soir, ainsi qu'on fait à l'heure de la mort,

Je vous offre mon âme à l’heure où je m'endors.

 

Mon père, accueillez- la cette pauvre âme offerte,

L’élevant un instant hors de la chair inerte,

Faites que je la sente hésiter et partir,

Afin qu'en m'endormant, je m’apprenne à mourir.

 

Louis Lefebvre (La prière d'un homme)

Sully Prudhomme (1839 – 1908 )

Le vase brisé

Le vase ou meurt cette verveine

D'un coup d'éventail  fut fêlé ;

Le coup dut  l'effleurer à peine,

Aucun bruit ne l'a révélé.

Mais la légère meurtrissure,

Mordant le cristal chaque jour,

D'une marche invisible et sure

En a fait lentement le tour.

Son eau fraîche a fui goutte-à-goutte

Le suc des fleurs s'est épuisé.

Personne encore ne s’en doute,

N'y touchez pas, il est brisé.

 

Souvent aussi la main qu'on aime

Effleurant le corps, le meurtrit ;

Puis, le corps se fend de lui-même,

La fleur de son amour périt  ;

 

Toujours intact aux yeux du monde,

Il sent  croître et pleurer tout bas

Sa blessure fine et profonde :

Il est brisé, n'y touchez pas.

 

Sully Prudhomme (1839 – 1908 )

 (La Vie Intérieure - 1865)

Sully Prudhomme (1839 -- 1908)

Les yeux.

 

Bleues ou noires, tous aimés, tous beaux,

Des yeux sans nombre ont vu l’aurore ;

Ils dorment au fond des tombeaux

Et le soleil se lève encore.

 

Les nuits  plus douces que les jours

Ont enchanté des yeux son ombre ;

Les étoiles brillent toujours

Et les yeux se sont remplis d'ombre.

 

Oh ! Qu'ils Aient perdu le regard,

Non, non, cela n'est pas possible.

Ils se sont tournés quelque part

Vers ce qu'on nomme l’invisible ;

 

Et comme les astres penchants

Nous quittent, mais au ciel demeurent,

Les prunelles ont leurs couchants,

mais il n'est pas vrai qu’elles meurent :

 

Bleues ou noires, tous aimés, tous beaux,

Ouverts à quelque immense aurore,

De l'autre côté des tombeaux

Les yeux qu’on ferme voient encore..

 
René-François Sully Prudhomme (1839 -- 1908)
 

 ( La Vie Intérieure)

Louis Lefebvre

Prière du matin,

 

Dans le matin naïf comme ces doux enfants

Qui ne font jamais rien de ce qu'on leur défend,

Dans le matin, tout jeune et pur sous sa rosée,

Je vous adore avec une âme reposée.

 

J'aime bien vous jeter mon appel matinal :

Je n’ai  pas encore eu le temps de faire mal,

J’ai moins honte de moi, misérable et sincère,

Et je pense toujours que je saurai mieux faire.

 

Cette fraîcheur inexprimable du matin,

Comme d’un clair manteau de fragile satin,

Mon père, couvrez-m’en pour toute ma journée !

Maintenant sitôt ma prière terminée,

 

Je vais rentrer parmi les hommes et le bruit ;

Faites qu'au milieu d’eux, et jusqu'à cette nuit,

 Je sente, pure et fraîche en moi comme l'aurore,

Mon âme se lever et se lever encore !

 

Louis Lefebvre

 « La prière d'un homme »

 
 

Émile Goudeau (1850 -- 1906)

Le clown de l'ironie.

 

Brillamment, tout le jour, il avait combattu

Pour ses rêves, pour ses espoirs, pour ses idées,

Lançant, audacieux, ses forces débridées

A l’assaut du bonheur, cet assiégé têtu.

 

Les assistants disaient : « ce lutteur est vêtu

D'ironie et de grâce et, par le larges bordées,

Le rire éclate aux coins de ses lèvres fardées :

On ne l'a jamais vu ni las, ni courbatu. »

 

Le soir, il salua debout la galerie,

Clown élégant qui veut qu’au Public on sourie,

Puis, pour aller dormir un peu se retira.

 

Dans le logis hanté du spleen et des migraines,

Il lorgna vaguement les étoiles sereines.

Et, quand il eut fermé sa fenêtre, il pleura ...

 
Émile Goudeau (1850 -- 1906)

Arthur Rimbaud (1854 -- 1891)

 

Le dormeur du val

C'est un trou de verdure où chante une rivière

Accrochant follement aux herbes des haillons

D'argent, où le soleil de la montagne fière,

Luit ; c'est un petit val qui mousse de rayons.

 
 

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,

Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu

Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,

Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

 

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme

Sourirait un enfant malade, il fait un somme.

Nature, berce le chaudement : il a froid !

 

Les parfums ne Font pas frissonner sa marine ;

Il dort dans le soleil la main sur la poitrine,

Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

 

Arthur Rimbaud (1854 -- 1891)

(Poésies)

Rimbaud a publié ses vers, un « Croquis de Guerre » , en novembre 1870 , dans le Progrès des Ardennes.

Albert Samain (1858 -- 1900)

La cuisine.

 

Dans la cuisine où flotte une senteur de thym,

Au retour du marché, comme un soir de butin,

S’entassent pêle-mêle avec les lourdes viandes,

Les pruneaux, des radis, les oignons en guirlandes.

 

Les grands choux violets, le rouge potiron,

La tomate vivace et le pâle citron.

Comme un grand cerf-volant la raie énorme et plate

Gît, fouillée au couteau, d’une plaie écarlate.

 

Un lièvre au poil rougi traîne sur les pavés

Avec des yeux pareils à des raisins crevés.

D'un tas d'huîtres vidé d'un panier couvert d'algues

Monte l'odeur du large et la fraîcheur des vagues.

 

Les cailles, les perdreaux au doux ventre ardoisé

Laissent, du sang au bec, pendre leur cou brisé ;

C'est un étal vibrant de fruits verts, de légumes

De nacre, d'argent clair, d’écailles et de plumes.

 

Un tronçon de saumon saigne et, vivant encore,

Un grand homard de bronze, acheté sur le port,

Parmi la victuaille au hasard  entassée

Agite, agonisant, une antenne cassée.

 

Albert Samain (1858 -- 1900)

(Le Chariot d'Or -- 1901)

Théodore de Banville (1829 - 1891)

A ma mère.

 

Lorsque ma sœur et moi, dans les forêts profondes,

Nous avions déchiré nos pieds sur les cailloux,

En nous baisant au front, tu nous appelais fous,

Après avoir maudit nos courses vagabondes.

 

Puis, comme un vent d’été confond les fraîches ondes

De deux petits ruisseaux sur un lit calme et doux ,

Lorsque tu nous tenais tous deux sur tes genoux,

Tu mêlais en riant nos chevelures blondes.

 

Et pendant bien longtemps, nous restions là blottis,

Heureux, et tu disais parfois : « O chers petits  !

Un jour, vous serez grands, et moi je serai vieille ! »

 

Les jours se sont enfuis d’un vol mystérieux,

Mais toujours la jeunesse éclatante et vermeille

Fleurit dans ton sourire et brille dans tes yeux.

 

Théodore de Banville (1829 -- 1891)

(Roses de Noël)

Albert Samain (1858 -- 1900)

Il est d’étranges soirs...

 

Il est d'étranges soirs où les fleurs ont une âme

Où dans l'air énervé flotte du repentir,

Où sur la vague lente et lourde d'un soupir

Le cœur le plus secret aux lèvres vient mourir.

Il est d'étranges soirs où les fleurs ont une âme,

Et ces soirs-là, je vais tendre comme une femme.

 

Il est des clairs matins fils, de roses se coiffant,

Où l’âme a des  gaietés d’eaux vives dans les roches,

Où le cœur est un ciel de Pâques plein de cloches

Où la chair est sans tache et l’esprit sans reproches.

Il est de clairs  matins de roses se coiffant,

Ces matins-là, je vais joyeux comme un enfant

 

Il est de mornes jours où, las de se connaître,

Le cœur, vieux de mille ans s'assied sur son butin,

O% le plus cher passé semble un décor déteint,

Où s'agite un vague et minable cabotin.

Il est de mornes jours, las du poids de connaître,

Et ces jours-là, je vais courbé comme un ancêtre !

 

Il est des nuits de doute, où l'angoisse vous tord,

Où l’âme, au bout de la spirale descendue,

Pâle et sur l'infini terrible suspendue,

Sent le vent de l'abîme et recule perdue !

Il est des nuits de doute, où l'angoisse vous tord,

Et ces nuits-là, je suis dans l’ombre comme à mort.

 

Albert Samain (1858 -- 1900)

(Au Jardin de l’Infante -- 1893)

 

samedi, 15 octobre 2005

Paul Eluard

Fermé

dimanche, 09 octobre 2005

Maurice Carème

A la petite épicerie

 

A la petite épicerie,
On trouve de tout, oui, de tout :
Du sel, des clous, de la vanille,
Du pain de seigle, du saindoux.
A la petite épicerie,
On trouve de tout, oui, de tout.
Et lorsque c’est la jeune fille
Qui vous demande tout à coup :
"Mon bon Monsieur, que voulez-vous ?"
On dirait que le soleil rit
Entre les pommes et les choux,
Dans la petite épicerie
Où l'on a chaque fois envie
De répondre en tendant ses sous :
"Je voudrais de tout, oui, de tout ."

 

Maurice CAREME
Fleurs de soleil
© Fondation Maurice Carême

 

Jeanine Baude

Fermé

Albert Samain

Fermé

Pierre Reverdy et René Guy Cadou

Pierre Reverdy ( extrait)
outre mesure

Le monde est ma prison
Si je suis loin de ce que j'aime
Vous n'êtes pas trop loin barreaux de l'horizon
L'amour la liberté dans le ciel trop vide
Sur la terre gercée de douleurs
Un visage éclaire et réchauffe les choses dures
Qui faisaient partie de la mort
A partir de cette figure
De ces gestes de cette voix
Ce n'est que moi-même qui parle
Mon cœur qui résonne et qui bat
Un écran de feu abat-jour tendre
Entre les murs familiers de la nuit
Cercle enchanté des fausses solitudes
Faisceaux de reflets lumineux
Regrets
Tous ces débris du temps crépitent au foyer
Encore un plan qui se déchire
Un acte qui manque à l'appel
Il reste peu de chose à prendre
Dans un homme qui va mourir


La nuit de René Guy Cadou
La nuit ! La nuit surtout je ne rêve pas je vois
J'entends je marche au bord du trou
J'entends gronder

Ce sont les pierres qui se détachent des années
La nuit nul ne prend garde
C'est tout un pan de l'avenir qui se lézarde
Et rien ne vivra plus en moi
Comme un moulin qui tourne à vide
L'éternité
De grandes belles filles qui ne sont pas nées
Se donneront pour rien dans les bois
Des hommes que je ne connaîtrai jamais
Battront les cartes sous la lampe un soir de gel
Qu'est-ce que j'aurai gagné à être éternel?
Les lunes et les siècles passeront
Un million d'années ce n'est rien
Mais ne plus avoir ce tremblement de la main
Qui se dispose à cueillir des oeufs dans la haie
Plus d'envie plus d'orgueil tout l'être satisfait
Et toujours la même heure imbécile à la montre
Plus de départs à jeun pour d'obscures rencontres
Je me dresse comme un ressort tout neuf dans mon lit
Je suis debout dans la nuit noire et je m'agrippe
A des lampions à des fantômes pas solides
Où la lucarne ? Je veux fuir ! Où l'écoutille ?
Et je m'attache à cette étoile qui scintille
Comme un silex en pointe dans le flanc
Ivrogne de la vie qui conjugue au présent
Le liseron du jour et le fer de la grille